Propos recueillis par Alexandre Arditti – Photos : Olivier Dion / J.B. Mondino

On ne la présente plus, et pourtant, Amélie Nothomb, romancière au succès hors norme, est une femme secrète, qui se livre peu… une enfance au Japon, de brillantes études de lettres, puis l’écriture, comme une évidence. et un talent brut, qui comme le bon vin, se bonifie avec les années. sa signature, c’est d’abord un style, reconnaissable entre mille. une plume limpide, acérée, et douée d’un humour Jubilatoire. Pour Voyages & Hôtels de rêve, cette grande voyageuse qui a vécu dans de nombreux pays nous parle de son rapport au voyage, du Japon, de la Belgique, des pays qu’elle rêve encore de découvrir… « le talent, c’est une question d’amour », affirmait Romy Schneider. Amélie Nothomb ne manque certes, ni de l’un, ni de l’autre.

Vous avez grandi au Japon, que vous avez quitté à cinq ans. Quel rapport gardez-vous aujourd’hui avec ce pays ?

Le Japon est toujours mon pays préféré, mon pays de cœur… Mais le paradoxe, c’est que c’est aussi pour ce motif que j’y vais le moins possible… Pourquoi ? Parce qu’y retourner suppose que je vais de nouveau devoir le quitter. Une nouvelle fois. Et quitter le Japon est pour moi un tel traumatisme, cela suppose une telle détresse, un tel recommencement de mon choc émotionnel fondateur vécu à l’âge de 5 ans, que pour cette raison, si je peux éviter le Japon aujourd’hui, je l’évite.

Quand y êtes-vous retournée pour la dernière fois ?

C’était en 2012 pour un film documentaire très important pour moi (Une vie entre deux eaux de Laureline Amanieux et Luca Chiari, Ndlr.), où l’on filmait mes retrouvailles avec ma « maman japonaise ». Cet épisode a supposé que je doive la quitter à nouveau. Je ne sais toujours pas comment j’ai survécu à cette épreuve ! La conséquence paradoxale de mon histoire est que je ne vais plus au Japon. J’aime trop ce pays, c’est un amour trop profond. Aujourd’hui, je n’en ai plus la force, et plus la force non plus de me dire qu’une fois là-bas, je devrai à nouveau le quitter.

Votre célèbre roman Stupeur & Tremblements racontait les aléas de votre première expérience professionnelle japonaise. Comment le livre a-t-il été accueilli là-bas en 1999 ?

Avant tout, il faut noter qu’il y a été publié, ce qui est déjà remarquable. Si j’avais écrit un tel livre sur la Chine, soyez sûr qu’il ne serait jamais sorti en librairie… Disons que Stupeur et Tremblements a été accueilli de manière contrastée. D’un côté, le patronat japonais a crié au scandale et au mensonge, mais parallèlement, il s’est trouvé de nombreux petits employés japonais pour plébisciter le livre, ce qui m’a fait très plaisir.

Où vous plaisez-vous à voyager désormais ?

Il y a quelques temps, j’ai découvert l’Amazonie, et la forêt amazonienne est devenue ma nouvelle passion ! J’aime cette région du monde, où l’on peut vraiment se retrouver loin de toute forme de civilisation. Soudainement, on est plongé en pleine nature, c’est un peu le retour total à la vie sauvage… Lorsque je m’y rends, je loge chez les Indiens et c’est l’occasion de me ressourcer durant deux semaines. J’ai choisi le côté péruvien plutôt que brésilien, en raison de la politique du Brésil en matière de déforestation, que je réprouve. Il y a là-bas une force exceptionnelle, mais évidemment le confort y est plus que sommaire, et il n’y a pas d’électricité. C’est un très long voyage dont la dernière partie se fait en pirogue, si bien que je ne peux pas y aller très souvent. C’est vraiment une expérience très forte. Pour l’instant, il m’est encore difficile d’écrire là-dessus mais cela viendra sûrement… Le seul point négatif, c’est la totale absence de champagne! (rires)

Quels autres pays rêvez-vous de découvrir ?

J’aime penser que je suis dans la période de ma vie qui précède ma découverte de l’Islande, l’un de mes plus grands rêves terrestres… Et comme c’est un rêve que je ne l’ai pas encore concrétisé, j’aime à penser que je suis encore « avant l’Islande ». Là-bas aussi, priorité à la nature, aux grands espaces… Mais au-delà de ce côté nature et authentique, j’apprécie aussi beaucoup les grandes villes. En réalité, je peux m’adapter sans problème à toute sophistication, mais il se trouve que c’est quelque chose que j’ai déjà plus expérimenté que la « terra incognita amazonienne ». Et à ce stade de ma vie, je suis plus attirée par ce que je ne connais pas encore…

Vous qui avez vécu dans de nombreux pays, quel est aujourd’hui votre rapport à la Belgique ?

Je sais que beaucoup de gens me pensent parfois Française, pourtant je rappelle très souvent que je suis Belge ! J’ai d’ailleurs mis beaucoup de temps à comprendre pourquoi j’étais belge, et aussi à comprendre la Belgique… Mais maintenant c’est fait, je n’ai plus aucun doute : je suis bien belge ! (rires) Cette identité si insaisissable, si floue, si problématique, qui caractérise mon pays et qui fait à la fois sa tragédie et sa richesse politique, eh bien, finalement, je m’y retrouve à fond ! Car moi aussi, en y réfléchissant, mon identité est plutôt floue, paradoxale, insaisissable… bref, la Belgique, c’est moi ! Quand on évoque l’identité belge, on a parfois du mal à trouver les mots pour la définir. On imagine bien ce que cela pourrait vouloir dire, mais c’est tout de même assez indéfinissable. Contrairement à l’identité française qui est très marquée, et sur laquelle on pourrait écrire des traités à n’en plus finir, l’identité belge est plutôt complexe, impalpable et extrêmement paradoxale. Et je me retrouve là-dedans !

Le fossé entre Wallons et Flamands est-il aussi important qu’on le dit ?

Il est réel, c’est vrai, c’est une réalité importante. Importante, mais je prétends qu’elle n’est pas indépassable. Personnellement, je fais partie de ceux qui pensent que la Belgique continuera d’exister en tant que telle, parce que la tragédie politique qui résulterait de son explosion serait si folle et si triste, que le bon sens l’emportera. Le pays va perdurer, avec toutes ses contradictions et ses tensions qu’il ne faut pas minimiser, mais qui sont aussi sa richesse. Le fossé entre les deux communautés n’est certainement pas une invention. C’est un réel danger, mais je veux croire, que ce danger sera toujours évité.

Vous êtes une grande amatrice de champagne. Quel grand cru choisiriez-vous si nous devions en siroter une coupe ensemble pour clore cette interview ?

En matière de champagne, cela dépend bien sur des jours, des rencontres, et aussi des heures de la journée… Il y a bien sur plus d’un champagne qui mérite d’être bu. Avec vous, je dégusterais volontiers le Brut de Philipponnat. Et croyez-moi c’est un grand compliment que je vous adresse ! (rires)