LES MALDIVES, CE SONT 99,7 % DOCÉAN ET SEULEMENT 0,3 % DE TERRES ÉMERGÉES. POUR LES TOURISTES COMME POUR LES MALDIVIENS, UNE SEULE SOLUTION POUR SE DÉPLACER RAPIDEMENT DANS CET ARCHIPEL COMPOSÉ DE MILLIERS DÎLES DISSÉMINÉES LE LONG DE L’ÉQUATEUR : PRENDRE LE TAXI. SAUF QUICI LES TAXIS VOLENT

« Voler, c’est comme une drogue… il y a toujours trois ou quatre minutes où tu oublies tout et tu ne penses plus qu’au spectacle, au ciel et à l’avion. C’est magique. » Le regard perdu dans le bleu du ciel, David Amson savoure son premier décollage de la journée. Quelques instants d’extase avant que la technique et la radio du bord ne reprennent le dessus. « Une fois en vol de croisière, tu repenses à tes problèmes, au quotidien, à la vie en général, enfin comme tout le monde. Sauf que nous, nous évoluons dans une autre dimension et que l’on peut penser à tout ça en plein ciel ».

Dimanche 7 heures du matin : l’heure de pointe aux Maldives…

David est pilote d’avion taxi. Son quotidien est fait de visions paradisiaques : atolls et îles désertes, lagons turquoise et ciel bleu à perte de vue. Comme ses quarante collègues de la Trans Maldivian Airways (ex Maldivian Air Taxi), il survole tous les jours des paysages sublimes. Pourant, après dix années passées à emmener les touristes vers des hôtels perdus dans l’océan Indien, les plages de sable blanc et les eaux translucides ne l’émeuvent plus guère. Être taxi au paradis, c’est pour lui devenu la routine !

Comme tous les dimanches matins, c’est l’effervescence dans le hangar qui sert de salle d’attente. Les gros porteurs transatlantiques ont déjà déposé leurs passagers à l’aéroport, et les taxis volants doivent désormais acheminer ou ramener des centaines de clients vers les îles paradisiaques qui les ont fait rêver sur les dépliants touristiques. Chemise blanche repassée, épaulettes à poste, tongs et bermuda réglementaires, David est prêt pour sa seconde rotation. Son uniforme ressemble un peu à celui de Gopher, l’intendant de la série La Croisière s’amuse… Pourtant il n’a rien d’un pilote d’opérette. Ce matin, il y a 6 rotations inscrites sur son plan de vol et il va enchaîner les décollages et les amerrissages difficiles, slalomer entre les autres appareils et éviter les patates de corail dans les lagons qui lui servent de piste d’atterrissage. « Les conditions de vol sont assez particulières ici. L’espace aérien autour de Malé est saturé. Il n’y a pas toujours de contrôle radar et il y a plusieurs fois failli avoir des accidents entre des Airbus et des petits avions comme les nôtres ». Mais les accidents sont très rares, même si les pilotes se font régulièrement peur lorsqu’ils se posent en pleine mer, près de plateformes flottantes qui leur permettent de récupérer des passagers venus en bateau depuis des îles dont les lagons ne permettent pas d’amerrir.

« L’hiver dernier une plateforme s’est carrément détachée. Comme nous étions en train d’embarquer les passagers, nous n’avons pas remarqué tout de suite que nous dérivions… Tout est allé très vite et ce n’est qu’à quelques mètres du récif que je me suis aperçu que nous bougions. J’ai sauté dans le cockpit pour remettre les gaz. Quelques secondes plus tard les flotteurs de l’avion auraient été déchiquetés par les coraux et l’avion aurait pu couler. Deux millions d’euros seraient parti en lambeaux : c’était ma plus belle frousse ! ».

« Voler, c’est comme une drogue… il y a toujours trois ou quatre minutes où tu oublies tout et tu ne penses plus qu’au spectacle, au ciel et à l’avion. »

 

Des avions mythiques 
pour des pilotes chevronnés

Il y a plus de 15 ans que David a quitté Paris pour exaucer son rêve, voler. En France, une formation au pilotage coûtait trop cher, il a préféré tenter sa chance au Canada où les heures de vol sont moins chères et où il est possible de travailler comme « bush pilot », pilote de brousse comme les Anglo-saxons ont baptisé ces casse-cous qui volent par tous les temps sur des petits coucous capables d’atterrir n’importe où.

Après des années passées à charger et décharger des avions cargo dans le grand Nord canadien, David décrochera sa licence commerciale et volera enfin. Ensuite, son parcours ressemble à celui de Dan Daguindeau, son co-pilote, ou à celui de tous ses collègues de la Trans Maldivian Airways. Le grand Nord encore pour quelques mois, puis la Birmanie et enfin les Maldives. Ici, tous les pilotes volent sur des Twin Otters de chez De Havilland, des avions mythiques tout droit sortis des années 60 et qui peuvent emmener une quinzaine de passagers. Avec des flotteurs, des roues ou des patins, ils se posent et décollent dans des mouchoirs de poche. Et par 40 degrés tous les jours de l’année, les machines souffrent comme leurs pilotes. « Même s’il fait vraiment très chaud dans les cockpits, ce ne sont pas non plus des conditions de travail extrêmes pour l’homme, mais c’est très éprouvant pour les avions à cause de la corrosion, du sel, de la mer. Avec les chocs répétés des amerrissages, toutes les machines restent aux Maldives deux ans seulement avant de repartir au Canada pour être entièrement remises à neuf ».


Loin de leur pays, de leur famille, vivant souvent à plusieurs dans des appartements loués par leur entreprise, les pilotes viennent travailler ici pour la beauté des paysages, mais surtout pour le salaire. Au minimum 6000 dollars net mensuels environ pour 6 jours de travail et seulement un jour off. En fonction du nombre d’heures passées à tenir le manche, ils bénéficieront de jours de repos supplémentaires. Pour assurer la continuité du service sans trop fatiguer les hommes, tous les trois mois, les pilotes retournent dans leur pays natal pour faire un break de cinq semaines. À force de vivre au bord de l’eau à Malé, la plus petite capitale au monde dont la rue principale fait moins d’un kilomètre de long et où l’alcool est interdit à la vente, pour leurs vacances ils ne rêvent souvent que de rues animées, de restaurants, de cinémas, bref d’un retour à la civilisation.

Exactement ce que fuient les touristes qu’ils transportent à longueur d’année, venus aux Maldives jouer les Robinson de luxe dans des hôtels climatisés aux prestations dernier cri. Mais ici, sans les taxis volants, le tourisme n’aurait jamais pu se développer à grande échelle.

« Les anglais voyagent léger, les Français trimballent tout leur penderie, et vu le poids de leurs bagages, les Italiens doivent même emmener le lavabo de leur salle de bains ! »

 

Pas d’avion, pas de touristes !

Les hydravions permettent de rejoindre des îles éloignées de Malé en moins de 30 minutes, quand plusieurs jours de navigation seraient nécessaires en bateau. 
Créée en 1993 par des pilotes danois tombés amoureux de ces îles perdues, la Maldivian Air Taxi – ancien nom de la Trans Maldivian Airways – et ses petits avions rouges est désormais un maillon essentiel de l’économie touristique. Au point qu’avant d’investir dans une île pour y construire un hôtel, les grands groupes hôteliers internationaux demandent leur avis aux taxis pour savoir s’ils pourront amerrir dans le lagon. Pas d’avion, pas de touristes ! Des touristes qui, s’ils sont de plus en plus nombreux à venir découvrir les îles chaque année, sont aussi de plus en plus chargés. « Les Anglais voyagent léger, les Français trimballent toute leur penderie et vu le poids de leur bagages, les Italiens doivent même emmener le lavabo de leur salle de bain ! »

Du coup, les pilotes sont contraints de voler avec davantage de kérosène, ce qui entraîne une hausse des tarifs qui tournent aujourd’hui autour de 150 euros pour un transfert inter-îles, ce qui fait augmenter légèrement le prix du billet pour le paradis. Même si aujourd’hui, de plus en plus d’hôteliers prennent au moins un transfert aller/retour en charge pour rallier et quitter l’hôtel. « Il y a un poids maximum sur ces appareils qui est de 6000 kilos au décollage. Si les touristes se trimballent avec des sacs et des valises toujours plus lourds, on essaie tout de même de rester dans cette limite, même si dans le transport aérien il y a toujours un peu de triche… Mais c’est normal, cela fait partie du jeu. Nos passagers sont là pour se détendre et profiter du paysage. Quant à nous, nous devons penser à la compagnie, à la sécurité et au business ! »